Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

LXVII
Qui ve gran maleza faire

(Sirventes. )
- date indéterminée-
( Sirventès )

I

Qui ve gran maleza faire
De mal dir no si deu taire:
Per qu'ieu vuelh dir e retraire
Que ricx homs dezeretaire
Es piegers que autre laire,
E fai diablía
Peior que neguns raubaire,
E tart si castía.

1

Celui qui est témoin d'une grande méchanceté
ne doit pas s'abstenir de paroles méchantes
c'est pour cela que je veux dire et montrer
qu'un puissant homme spoliateur d'autrui
est pire que tout autre larron,
qu'il agit plus diaboliquement
qu'aucun autre brigand,
et qu'il met beaucoup plus de temps à se corriger.

II

Ricx homs quan vai per carrèira,
El a una companhèira:
Malvestat, que vai premèira
E mejana e derrèira
E grantz Cobeitatz entèira
Li fai companhía
E Tortz porta la senhèira
Et Erguelhs la guía.

2

Quand un puissant homme va par les chemins,
il a une compagne:
c'est Malhonnêteté, qui marche en tête,
à son côté et en arrière;
Convoitise pleine et entière
lui fait escorte;
Injustice porte la bannière
et Orgueil l'étendard.

III

Ricx homs mals quan vai en plassa,
Que cuiatz vos que lai fassa
Quant autr'homs ri e solassa,
A l'un mòu play, l'autre cassa
L'un maldi, l'autre menassa,
E l'autr'afollía
E non fai joi ni abrassa.
Si com far deuría.

3

Quand un puissant et méchant homme va quelque part,
que croyez-vous qu'il y fasse ?
Alors qu'un autre homme va rire et se divertir,
lui va chercher querelle à l'un, va chasser l'autre,
injurier celui-ci, menacer celui-là
en insulter un autre.
Ni il se réjouit ni il embrasse
comme il devrait le faire

IV

Ricx homs quan fai sas caléndas
E sas cortz e sas bevéndas,
De toutas e de rozendas
Fai sos dons e sas esméndas
E sos lums e sas offréndas,
E de raubaría
E en guerras met sas réndas
E en plaidería.

4

Quand un puissant homme célèbre ses fêtes
ses assemblées et ses beuveries,
c'est d'exactions et de rançons
qu'il tire ses dons et ses dédommagements,
et ses luminaires et ses offrandes,
sont le produit de ses pillages
et il fonde ses rentes sur les guerres
et sur les procès.

V

Ricx homs mals quan vol far fèsta,
Aujatz consi faí sa quèsta:
Tant bat la gent e entèsta
Tro que deniers non lur rèsta
Que no-i cal venir tempèsta
Ni fams ni moría,
Pueis fai cara molt honèsta
Qui no-l conoissía.

5

Quand un puissant et méchant homme veut donner une fête,
écoutez comment il fait sa quête:
il bat les gens et les frappe à la tête
jusqu'à ce qu'il ne leur reste plus un denier;
car pour cela il n'est pas besoin que vienne la tempête
ni la famine ni l' épidémie.
Ensuite il fait très bonne chère
pour qui ne le connaîtrait pas.

VI

Un pauc ai dig de la gèsta
Que dire volía
Mas tan grans massa n'i rèsta
Que fort pauc embría.

6

Je n'ai dit qu'une toute petite partie
de la geste que je voulais dire,
mais il en reste tant à faire
que cela n' avance que fort lentement.


NOTES: Satire générale (trop générale d'ailleurs pour permettre une datation !) des "méchants riches hommes" . Une vingtaine de sirventès chez P.C. sont ainsi consacrés à l'abaissement de la société consécutive à l'inconduite des puissants.
 
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