Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

XLIX
De selhs qu'avetz el sirventes dich mal

(Sirventes. )
- après 1209 ? , avant 1222 ?-
( Sirventès )

I

De selhs qu'avetz el sirventes dich mal,
Senh' En Raimon, -- vos vuelh aiso esdir:
Que aian tort, qu'om los deia punir.
. . . . . . . . . . .. . . . . tant si sento leyal,
E fan dever e tenon la ley Dièu.
D'aquestz mestiers los vos razone ièu,
Que quan tug fals serian lonjamén,
La tenezos e-l costuma-ls defén.

1

A propos de ceux que vous avez éreintés en votre sirventès,
seigneur Raimon, je veux vous objecter ceci :
je ne pense pas qu'ils aient tort ni qu'on doive les punir.
........................................., tant ils se sentent loyaux,
font leur devoir et observent la loi de Dieu.
Pour ces façons d'agir, je prends leur défense contre vous,
car même s'ils étaient tous très largement injustes,
la prescription aussi bien que la coutume les défendraient.

II

S'ieu ai tengut lonc temps lo vostr' ostal,
No'us pessetz pas leu lo-m fassatz gurpir
Ni de lains vuelha jamais issir,
Que-l tenezos m'en aiuda e m'en val.
E s'ieu ia vuelh estrangolar romièu,
Perdonat m'er ab que done del mièu.
S'aver non ai, forfach ai pendemen,
E s'ai aver, manh lag tort me defen.

2

Si j'ai longtemps occupé votre maison,
ne pensez pas me la faire quitter aisément
ni même que je veuille en sortir un jour,
car la durée de la possession me soutient et plaide pour moi.
Et si je veux jamais étrangler un pèlerin
il me sera pardonné pourvu que je donne du mien.
Si je suis sans avoir, j'aurai mérité la pendaison,
mais si j'en ai, cela m'absoudra de maint vilain tort.

III

Qu'a penas a hom amic tan coral
E que-s guare en totz faitz de falhir,
S'aver non a, que ja-l sapcho ben dir,
Ans diran tug d'aquelh que res no val:
Mens prezatz er si non a pro del sièu.
Trop val avers mas diable e Dièu:
En conquer hom qui'n fai amassamen.
Si mortz no fos, elh volgra per un cen.

3

Un ami qui, en toutes choses, évite de pécher
n'est jamais si cher, s'il n'a pas de richesses,
que l'on puisse jamais en dire du bien,
tous diront, au contraire, qu'il ne vaut rien:
il sera d'autant moins estimé qu'il n'aura pas assez de bien.
L'argent vaut beaucoup plus que diable ou que Dieu
celui qui l'amasse, domine les hommes avec cela.
Si la mort n'existait pas, il vaudrait cent pour un.

IV

L'apostoli -lh legat e-lh cardenal
S'acordon tug et an fag establir
Que qui no-s pot de trassion esdir,
S'aver non a, fassa-lh hom lo senhal;
E s'a aver. . . . . . . . . . . . . . . . . .. . .eu
Donem li. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . eu
Que-lh r. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .men
Mas. . . . . . . . . . . . . . . .. lo sieu n. en

4

Le pape, les légats et les cardinaux
s'accordent tous et ils ont fait établir
que celui qui ne peut se disculper de trahison,
s'il n'a pas de fortune, on lui imprime la marque d'ignominie;
et s'il en a...
donnons-lui...
...
...

V

Tot lo . . . . . . . . . . . .. . . . . .. . . de sal
L. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . .. . e delir
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . de mentir
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . d'els n'a. al
Piegz de. . . . . . . . . . . . . . . . . es grièu.
Aitan pauc pretz crestia com juzièu.
E feira meyns si pel sanh lavamen
Non esperes venir a salvamen.

5

...
...
...
...
Pis que ... (? m') est pénible.
J'apprécie aussi peu un tel chrétien qu'un juif.
Et il ferait moins de mal si, grâce au baptême,
il n'espérait pas parvenir au salut.

VI

Caitiva gen, cum cujatz que de lièu
Poscatz aver lo bon regne de Dièu,
Tot jorn peccatz fazen ad ecien
Non o crezatz ni aiatz tan pec sen.

6

Misérables gens, croyez-vous pouvoir accéder
sans encombre au royaume de Dieu,
en péchant chaque jour de façon aussi délibérée ?
N'en croyez rien et ne soyez pas si stupides !


NOTES: On ne sait pas à quel Raimon cette pièce répond (Certains ont proposé Raimon de Castelnou, obscur troubadour dont il ne nous reste que cinq chansons.).
P.C. a utilisé plusieurs fois cette démarche férocement ironique par laquelle il prend l'exact contrepied de ce qu'il pense vraiment pour finalement, en conclusion, remettre les points sur les "i".
 
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