Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

LXXI
Sel que fes tot cant és

(Dig. )
- vers 1250-1254 -
( Dit )

Sel que fes tot cant és
Salve-ls pros e-ls cortés
E la cort e-ls borgués,
A cuy yeu soi tramés
Per dire so que say:

Un ric rey, valen, gai,
Que mante pretz veray
Que tot cant ditz e fay
Son cortezía e sens.


Ja homz croys ni malvas
No-s meta en son pas,
Que no-l vol en sa fas,
Ans es del vezer las
E fay lo-y aparvén,
Del cocelh que y prén.
Que l'autrier, mo vezén,
En triet mays de cén,
Tot lay fors en la plassa,
E-ls mes en la palhassa.

La palhassa e-l naus
E-l serpens qu'esta braus
Y an ben at avut:
Per que-l reys a volgut
Metre tot son afic
En un onhemen ric
Dont li malvat mendic
Seran onh e-l dolen.

S'estays suau ni jen
Ie-us dirai l'onhemen.

De neula e ven
Es tot lo pus e-l mays.
Vieuladura e lays
Y a mes, e sos gays,
E critz d'escaravays
E trufas de Roais
Tric, martel e sembel
E trinhon de martèl
E reget de vedèl
E-l sen de femna fada,
Vent et aura levada
E-l chant de la copada
E la color del vi
E rumor de saÿ
E mal dig de vezi.
E a-i mes lo saÿ
De VIII codols aiguéns
Tortis e vòutas géns
Ab amoros motz féns
E retin de ribeyra
E-l chant de la bergeyra,
E trichamen de fèyra
E la plata del glas
Que-s fa en la fornas
E-l trot del romieu las
E trïa e dos as
E anar de seiro
E bram de lebrairo
E dolor de tabó
E de colp d'esquino
E flairor de cozina
E de dolor d'esquina
E de lag de galina.

Non parletz de mezina
Mas que l'onhemens l'a.

Lo vayssels on esta
No tenc per matrassa,
Qu'el mon non a vila
Sapcha dire cossi
Sobre qui non lo-y di:

Lo vayssels es d'aur fi
Gergonse e robi,
Safiri e granat
I son encadestat
Que geton tan clardat
D'un ver jaspe gotat
Es fait lo cobessèl
E, desus, un pomèl
D'un carboncle novèl
C'anc homz non vit tan bèl
Ni de tan gran valor.*

Entorn lo cobertór
Son las set artz d'amór
E li fin aimadór:
Piramus e Tibes,
Felis e Plaries,
E dels autres ben dés.
E a-y mes en aprés
Blancaflor e Floris
E Tristan, c'anc non ris,
Amet Yseutz la blónda.

Entorn la revirónda
A mes la mar priónda
E-l saut de Maribonda
E-l ost d'Archimalec.

Capadosi e Grèc
Lo feron a Malbec,
Otra part Ermenía,
E-l soudas de Turquía
Trames lo l'autre dia
Say als Francx per prezén.
Segon mon essién
Val dos quintals d'argen
O-y soy del tot falhitz.

-L'onhemens es complitz
E pastatz e pestritz
E qui er ben aibitz
Ni francs ni amorós
Tragua se sa vas nós
Vas l'enguen pressiós,
Que es tan bels e bos
Que totz gueritz sera
Ades per ma e ma
E qui vergonh' aura
Estug l'al endema.

Que Celui qui fit tout ce qui est
sauve les preux et les courtois
et la cour et les bourgeois,
à qui moi je suis envoyé
pour dire ce que je sais

d' un roi puissant, vaillant et joyeux,
qui maintient la vraie valeur,
de telle manière que tout ce qu'il dit et fait
est pure courtoisie et grande sagesse.


Que jamais homme vil ni mauvais
ne se mette sur son passage,
car il ne le veut pas devant sa face,
mais il est las de le voir
et il le lui fait bien paraître
d'après la décision qu'il prend.
Car l'autre jour, à ma vue,
il en choisit plus de cent,
tout là-bas dehors sur la place
et il les mit sur la paillasse.

La paillasse et la navette
et le serpent qui est farouche
y ont été bien nécessaires,
car le roi a voulu
mettre tout son soin
à préparer un onguent précieux
dont les mauvais garçons
ainsi que les malades seront bientôt oints.

Si vous vous tenez silencieux et tranquilles
je vous éclairerai sur cet onguent.

De nuée et de vent
en est toute la plus grande et importante part.
Il y a mis air de viole et lai
et mélodies joyeuses,
et bourdonnements de scarabées
[et moqueries de Roaix],
tricherie, coup de marteau et dispute,
et carillon de battant de cloche
et ruade de veau,
et le sens de femme niaise,
vent et brise qui s'élève
et le chant de l'alouette,
et la couleur du vin
et crépitement de graisse à frire
et médisance de voisin.
Il y a mis aussi la graisse
de huit galets de rivière,
entrecroisements et jolies voltes
avec paroles amoureuses feintes
et clapotis de rivière
et le chant de la bergère,
et tricherie de foire,
et le plat du glaive
qui se fait en la fournaise
et le trot du pèlerin fatigué
et le choix entre deux as
et allure de ciron
et bramement de jeune lévrier
et douleur de talon
et du coup de couperet
et odeur de cuisine
et de la douleur d'échine
et du lait de poule.

Ne parlez de remède
sauf pour dire que l'onguent en est.

Le vase où il se trouve,
je ne le tiens pas pour récipient grossier,
car il n'y a pas un vilain au monde
qui pourrait dire comment il est
sans que je renchérisse en disant ceci :

le vase est d'or fin;
hyacinthes et rubis,
saphirs et grenats
y sont enchâssés
et jettent grande clarté;
D'un vrai jaspe moucheté
est fait le couvercle
et sur celui-ci est un bouton
fait d'une escarboucle inconnue;
jamais homme n' en vit d'aussi belle
ni d'aussi grande valeur.

Autour du couvercle
sont les sept arts d'amour
et les parfaits amants :
Pyrame et Thishé,
Phylis et Plariès,
et des autres bien dix.
Et il y a placé ensuite
Blanchefleur et Floris;
et Tristan qui jamais ne rit,
et qu'Yseut la blonde aima.

Autour du ventre
il a mis la mer profonde
et le défilé de Maribonde
et l'armée d'Archimalec.

Cappadociens et Grecs
le firent à Malbec,
plus loin que l'Arménie,
et le sultan de Turquie
l'envoya l'autre jour par ici
en cadeau aux Français
A mon avis
il vaut bien deux quintaux d'argent
ou j'y suis absolument trompé.

L'onguent est achevé,
mis en pâte et pétri;
et quiconque sera bien doué
franc et aimable
se porte ici vers nous
vers cet onguent précieux,
qui est si beau et si bon
qu'il sera complètement guéri
à l'instant et en un tournemain;
et quiconque en aura honte
le mette de côté pour le lendemain.


NOTES: Ce "Dit de l'onguent" est une fantaisie bien singulière dans l'œuvre de P.C. Elle a pu être écrite lors des "tournées" poétiques qui ont suivi la disparition de Raimon VII. Le roi "guérisseur" qui a pu inspirer Cardenal est peut-être Saint-Louis, charitable envers... les infirmes. Le vase contenant l'onguent "offert par le sultan de Turquie" est peut-être un souvenir des présents reçus en Palestine du sultan de Damas, présents dont il fut beaucoup parlé au retour du roi à son passage en Provence (1254).
La fin semble indiquer qu'un jongleur préparait une sorte d'onguent sous les yeux du public mimant ce que le récitant disait.
Dans XVI-D'Esteve de Belmon m'enuèia P.C. voulait déjà utiliser un onguent contre les traîtres !...
Le vers E trufas de Roais est très obscur et peut-être interpolé.
 
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