Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

LXXIV
Tartarassa ni vòutór

(Sirventes. )
- après 1215 -
( Sirventès )

I

Tartarassa ni vòutór
No sent tan leu carn pudén
Quom clerc e prezicadór
Senton ont es lo manén.
Mantenen son sei privat,
E quant malautia-l bat,
Fan li far donassïó
Tel que-l paren no-i an pró.

1

Ni la buse ni le vautour
ne sentent aussi vite la chair puante
que les clercs et les prêcheurs
ne sentent où est le riche.
Sur-le-champ ils sont ses familiers,
et quand la maladie est sur le point de le terrasser,
ils lui font faire une donation
telle que les parents n'y ont nul profit.

II

Franses e clerc an lauzor
De mal, quar ben lur en pren
E renovier e trachor
An tot lo segl' eissamen,
C'ab mentir et ab barat
An si tot lo mon torbat
Que no-i a religïo
Que no'n sapcha sa leisso.

2

On approuve les Français et les clercs du mal qu'ils font
parce qu'il leur réussit,
et les usuriers et les traîtres pareillement
sont les maîtres de ce temps,
car avec le mensonge et la tromperie
ils ont tellement troublé le monde entier
qu'il n'y a point de congrégation
qui ne sache d'eux sa leçon.

III

Saps qu'endeven la ricor
De sels que l'an malamen
Venra un fort raubador
Que non lur laissara ren:
So es la mortz, que-ls abat,
C'ab catr'aunas de filat
Los tramet en tal maízo
Ont atrobon de mal pro

3

Sais-tu ce que devient la richesse
de ceux qui l'ont obtenu malhonnêtement ?
Un jour, viendra un puissant voleur
qui les laissera sans rien:
la Mort - car c'est elle - les abattra,
et avec quatre aunes de toile
les enverra en telle demeure
où ils trouveront beaucoup de mal.

IV

Hom, per que fas tal follor
Que passes lo mandamen
De Dieu, quez es ton senhor
E t'a format de nïen
La trueia ten al mercat
Sel que ab Dieu si combat:
Que-l n'aura tal guizardo
Com ac Judas lo fello.

4

Homme, pourquoi fais-tu telle folie
que d'outrepasser le commandement
de Dieu, ton seigneur
qui t'a formé du néant ?
Il tient la truie au marché
celui qui combat contre Dieu
car il en aura la même récompense
qu'en eut Judas le félon.

V

Dieus verais, plens de doussor,
Senher, sias nos guiren
Gardas d'enfernal dolor
Peccadors e de turmen,
E solves los del peccat
En que son pres e liat,
E faitz lur veray perdo,
Ab vera confessïo.

5

Dieu véridique, plein de douceur,
Seigneur, soyez notre garant!
Gardez les pécheurs
de l'infernale douleur et du tourment,
et délivrez-les du péché
en qui ils sont pris et liés,
et accordez-leur sincère pardon,
contre sincère confession!


NOTES: Le début sec et efficace de ce sirventès est très célèbre. Les clercs "prêcheurs" dont il est question sont les Dominicains, établis à Toulouse en 1216 (l'ordre à été fondé en 1215 par Innocent III)
strophe 3: souvenir de Saint Paul ? (...le jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit . Thessaloniciens I, V-2)
ou de l'Apocalypse III-3 ? (...je viendrai sur toi comme un voleur et tu ne sauras point à quelle heure je viendrai...)
strophe 4: "Il tient la truie au marché" proverbe dont on a perdu le sens exact. =il fait une sottise, il sacrifie l'avenir, en vendant la mère au lieu des gorets.?
Texte souvent choisi pour figurer dans les anthologies.
Texte faisant partie des "Tròces causits" (voir Bibliographie)
 
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