[ SOMMAIRE ]

Florilège

 
Il ne me déplaît point de voir mon chant repris par d'autres
car j' y ordonne de faire le bien
quoique j'en fasse peu moi-même.
Si les gens, grâce à lui, vivaient de belle et bonne façon
on pourrait dire ensuite:
d'un fou, on apprend la sagesse.
(LX)
 
 
Je ne crois pas qu'à l'heure de la mort
nul puisse emporter
richesses ou parure,
mais seulement les actions qu'il a accomplies.
(XX)
 
Je ne puis dire assez l'erreur
de ce monde faux et traître
qui fait d'une ignominie un honneur
et du bon sens une folie.
(XVII)
 
Il est bien fou celui qui croit réussir à faire
ce qui jamais ne fut fait.
Et moi qui crois sévir contre les traîtres
je me démène en pure perte,
car si ce n'est Dieu qui les anéantit
il y en aura bientôt plus que d'agneaux en mai.
(XIV)
 
Le service des dames s'est énormément amélioré,
car il donnait la mort à un homme
avant d'en obtenir joie ou agrément,
avant même d'être simplement désiré;
aujourd'hui, pourvu qu'il apporte de l'argent
il sera le plus galant des hommes...
(XLVII)
 
Il y a grande abondance
de vivres et de blé
mais il y a disette d'amour
et d'actes honorables.
(LVII)
 
Fausseté et Démesure
ont livré bataille contre Vérité et Droiture
et Fausseté l'a emporté.
(XVII)

 
Je veux commencer un sirventès nouveau,
que je réciterai au jour du jugement
à celui qui me fît
et me créa à partir du néant.
S'il pense me demander des comptes
et me mettre en la compagnie des diables
je lui dirai :
" Seigneur, pitié, qu'il n'en soit pas ainsi !
Car dans le monde mauvais,
toute ma vie je fus tourmenté,
aussi, s'il vous plaît,
préservez-moi maintenant des tourmenteurs. "

A l'écoute de mon plaidoyer
toute sa cour s'émerveillera.
(XXXVI)
 

Je voudrais bien, si cela se pouvait ,
que Dieu eût tout ce que j'ai,
et mon souci, et mon tourment,
et moi, que je fusse Dieu tel qu'il est.
Alors je le traiterais comme il me traite,
et je lui rendrais selon ce que j'ai reçu.

Puisque ce sont les gens ignobles et corrompus
qui détiennent la meilleure part de tous ses biens,
que ceux-là lui en rendent grâces :
car moi je ne le fais, ni ne le ferai.
De Dieu je ne tiens pas le moindre denier ,
il ne m'a donné qu'une âme, que je lui rendrai.
(XL)

 
Alors on verra un temps
où le monde n'aura plus de loi.
Les clercs iront au tournoi
et les femmes feront le sermon,
et l'on ne trouvera rien à faire
à moins d'être fort déloyal.
(XVIII)
 
Quelle aventure
que le cours de ce monde!
Car la droiture n'y trouve ni gué ni pont,
quand l'injustice
qui s'avance partout avec audace,
apporte le chagrin, tue et ruine.
(LXVI)
 
Je sais bien que ni terre ni avoir
ne met son maître en paradis
et que ni grand trésor ni grand domaine
ne sauve le riche et ne le rend saint pour autant .
Car les avancées d'ici-bas
deviennent reculs dans l'au-delà
quand l'âme suit là-bas les chemins étroits
et que le corps est ici la pitance des vers.
(LII)
 
La folie de l'homme égare son esprit ,
et je croyais aussi que la tromperie et la perfidie
faisaient déchoir et rabaissaient leur maître.
Mais, à présent, elles le rehaussent,
le font croître et le multiplient.
J'en suis à m'émerveiller de n'être pas encore volé,
puisque l'on aime et l'on chérit la malhonnêteté
et que l'on tient la loyauté pour une chimère.
(XXXV)

 
Les amoureuses, quand on les accuse,
se justifient à la manière de maître Ysengrin :
l'une prend un amant parce qu'elle a un grand patrimoine,
l'autre c'est parce que la pauvreté la tourmente;
l'une a un vieux mari et elle est jeunette,
l'autre est grande et elle a un petit homme;
l'une n'a point de surcot de brunette,
l'autre en a deux et elle prend un amant pareillement.

Il a la guerre tout près celui qui l'a au milieu de sa terre,
mais il l'a plus près encore celui qui l'a à son traversin.
(LVI)
 

J'ai appris une chose
au sujet des trahisons et des tromperies:
quoi que l'on puisse en dire et en entendre:
c'est que la faute est pire que le dommage;
car la victime verra un jour le préjudice réparé
mais le traître ne sera, lui, jamais lavé de sa faute,
en nul temps désormais.
(XCV)
 
Ni la buse ni le vautour
ne sentent aussi vite la chair puante
que les clercs et les prêcheurs
ne sentent où est le riche.
(LXXIV)
 
Ils sont larrons et ils règnent sur nous :
nous sommes donc bien fous et bien peu sagaces,
dans la mesure où il est larron lui-même
celui qui tolère le larron.
(XXXVII)
 
Mais moi c'est une cour
qui soit en désaccord avec la grossièreté
que je réclame,
une cour qui s'accorde au contraire
avec tous actes parfaits et courtois,
qui accède à la vraie valeur par la prouesse accomplie
et a de nobles desseins, quel qu'en soit le prix,
une cour de mille amis amie,
dans laquelle ni le fourbe ni le loyal, n'éprouve de refus,
pourvu que la valeur s'accorde avec le vouloir,
la joie avec le droit, et le don avec le devoir.
(XII)
 
A Toulouse il y a un tel Raimon
- le comte que Dieu veuille toujours guider ! -
que tout comme l'eau sort de la fontaine,
de lui naît chevalerie
(XV)
 
Mieux vaut de beaucoup
un ribaud dans la misère,
qui vit en paix
et supporte son dénuement,
qu'un mauvais comte
qui tous les jours regorge
d'un honteux profit
et ne craint pas le déshonneur.
(LXXIII)
 
Ce monde peinera à retourner en l'état
où il a été un jour , selon ce que l'on entend dire,
où un homme était cru sans serment,
seulement sur sa foi, s'il voulait l'engager
et c'était alors vérité non contestée.
Maintenant le siècle est tellement tourné à la haine
que chacun pense à trahir son semblable.
(LXXVII)
Ce siècle s' est totalement dégradé,
car le mauvais et avare Riche je le vois honoré
alors que le preux Pauvre est avili par sa pauvreté.
L' Inconstant abject détient toujours le pouvoir
et le Loyal, à la générosité sans égale, passe pour fou
parce qu'il ne s'écarte pas du bon chemin
(XIII)
 
Les clercs se donnent pour pasteurs
et ils sont criminels.
Il y a apparence de grande sainteté
pour celui qui les voit revêtir l'habit,
et il me prend à me souvenir
que maître Ysengrin, un jour,
voulut venir en un parc :
mais à cause des chiens qu'il craignait
il endossa une peau de mouton
grâce à quoi il les berna,
puis il mangea et ingurgita
tout ce qui lui plut.
(XXIX)
 

Si j'étais mari,
j'aurais bien grande frayeur
de voir un homme sans braies
s'asseoir près de ma femme,
car elles et eux* ont jupes de même ampleur
et le feu, avec la graisse, s'allume très facilement.
(XXVIII)
(*les Dominicains)

 
Estève a la tête grosse et le ventre rond comme bosse;
ses épaules font penser à un fardeau,
vraiment, jamais je ne vis au monde
plus vilaine carcasse.
Il couche avec une vieille rosse
qui est cordière et tiraille de travers.
Quand on le pendra,
Estève n'aura pas de proche pour le plaindre,
bien au contraire les pleureurs lui feront défaut.
Si les vautours alors le mangent,
ils ne pourront jamais faire pire chère.
(XVI)
 
La Raison veut et le Droit commande
que celui qui sème cueille :
quelque semence qu'il épande,
pareil fruit il convient qu'il récolte.
Et celui qui cause chagrins et dommages,
il peut être certain qu'au prochain coup de la fortune,
c'est lui qui éprouvera du dommage,
aussi longtemps qu'il doive attendre.
(XXV)
 
Mort,
qui prends en si grand nombre
les hommes aimables et les preux
et ceux qui sont dignes d'éloges
alors que tu flattes les méchants
dolents, doucereux, menteurs et vils,
ce n'est nullement clémence,
mais c'est trahison et grand dommage
quand on abat les gens courtois
et que l'on tolère les malfaisants
pendant si longtemps.
(LIX)
 
 
Homme, pourquoi n'as-tu pas souvenance,
pendant que tu vis dans le faste,
de comment et de quoi
tu fus fait au commencement ?
Souviens-toi aussi,
dans ton grand bien-être,
en quoi se change et que devient
tout ce que tu mets en ta panse.
Examine bien ta vie
et détermine où elle va
et d'où elle vient,
car si tu fus créé de chose vile,
il convient que tu retournes
en l'état d'une chose plus vile encore.
(LXI)
 
La fausseté et la tromperie m'ont toujours fait horreur
et ma conduite est guidée par la vérité et le droit.
Et si cela m'occasionne parfois des hauts et des bas
je ne m'en préoccupe pas , car tout cela m'est indifférent.
Certes, la loyauté fait bien souvent déchoir les uns
alors que la fourberie et la mauvaise foi élèvent les autres,
mais, si tant est qu'un homme monte grâce à la fausseté,
de cette élévation il descendra ensuite au plus profond.
(LXXV)
 
[ Section 1 - Poésie amoureuse ] = [ Section 2 - Poésie politique ] = [ Section 3 - Poésie religieuse ] = [ Section 4 - Poésie morale ]
[ SOMMAIRE ] = [ Chronologie ]