Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

XXII
Senh En Ebles, vostre vezi

( Sirventes.)
- avant 1209 -
( Sirventès )

I

Senh En Ebles, vostre vezi
Son tan valen e tan huma
Que si las peiras eron pa
E que las aigas fosson vi
E li puei bacon e pouzi,
Non serian larc, tals n'i a.

1

Seigneur Eble, noble sire,
vos voisins sont si estimables et si humains
que si les pierres étaient du pain
les eaux du vin
et les puys flèches de lard et poulets,
ils n'arriveraient pas à être généreux, ces gens-là.

II

Tals n'i a, mas non dirai qui,
Que foron porc en Gavauda,
Et en Vianes foron ca
Et en Velaic foron masti
Segon l'afaitamen cani:
Mas car non an coa rema.

2

Ces gens-là, - mais je ne dirai pas lesquels -
furent porcs en Gévaudan
en Viennois furent chiens
et en Velay mâtins
selon la conformation canine:
quoique désormais il ne leur en reste plus de queue.

III

En jurar de femna no-m fi
Ni son sagramen non vuelh ja,
Car si-l metias en la ma
Per ver dir un maraboti
E per mentir un barbari,
Lo barbaris gazanhera.

3

Je n'ai guère confiance en une promesse de femme
et ne veux vraiment pas de son serment,
car si vous lui mettiez dans la main,
pour dire vrai, un maravédis d'or
et pour mentir, un barbarin,
le barbarin gagnerait.

IV

Tals a lo semblan enfanti
Que-l sens es de trebellïa,
E-l lenga de logicïa
E-l voluntatz d'En Alengri!
Tals a belh cors e saura cri
Que dins a fel cor e vila.

4

Telle a une apparence enfantine
dont l'intelligence est celle d'un procédurier retors
la langue d'un fin logicien
et la volonté de sire Ysengrin ;
telle a corps superbe et blonde chevelure
qui au dedans a cœur félon et méprisable.

V

Dig vuelh aver de sarrazí
E fe e lei de crestïa,
E sotileza de paia
Et ardimen de tartari.
E qui es garnitz enaissi
Val be messongier castella,

5

Je veux avoir parole de sarrasin,
foi et loi de chrétien,
subtilité de païen
et hardiesse de tartare.
Et celui qui est ainsi équipé
vaut bien un châtelain menteur,

VI

Can fai tort e messonjas di
Atressi com de tals n'i a.

6

quand il nuit aux autres et dit des mensonges
comme ces gens-là.


NOTES: Ce sirventès a peut être été écrit en Auvergne, à Olliergues; chez Eble à qui il est adressé.
Eble de Clermont, seigneur d'Olliergues, était le frère de Gui II , comte d'Auvergne.
Les "voisins" d'Eble, si peu généreux, sont les féodaux du Gévaudan, du Viennois et du Velay que P.C. connaît bien.
maraboti = maravédis = monnaie espagnole de faible valeur * barbari = monnaie frappée par les vicomtes de Limoges, son nom lui venait d'une effigie à barbe de Saint Martial.
fin de la strophe V: Certains ont traduit "castella" par "Castillan", mais les arguments de Lavaud en faveur de "châtelain" sont convaincants...
 

 
TEXTE SUPPLEMENTAIRE:

Cobla anonyme . XIII ème s.
( citant Peire Cardenal et se référant au sirventès XXII )
"D'omes atrobi totz aitals"


D'omes atrobi totz aitals
Con fetz En Peires Cardenals:
Di que lur faiz es tan bestials
Que porc foron, mastin e can;
Los escarnis e-ls vai blasman
Ades los vei mais enfolir
Per que totz homs los deu fugir.
Pero, qi non s'en pot loingnar,
Tot qan dizon deu hom lauzar,
Q'autresi taing als fols dire plazer
Com als savis, qan si pot eschazer.
Des hommes, j'en trouve beaucoup tout à fait tels
que les trouva sire Peire Cardenal :
il dit que leur conduite est si bestiale
qu'ils furent porcs, mâtins et chiens;
il les raille et les va blâmant,
toujours il les voit devenir plus fous,
c'est pourquoi tout homme doit les fuir.
Pourtant, si l'on ne peut s'éloigner d'eux,
on doit louer tout ce qu'ils disent ,
car il convient de dire aux fous ce qui leur plaît
aussi bien qu'aux sages, quand cela peut advenir.

NOTE: L'imitateur de P.C. semble sur la fin le contredire faisant observer que, devant vivre avec les fous, il est bien obligé de paraître les approuver.
 
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