Œuvres complètes bilingues de Pèire Cardenal

XXXII
Qui volra sirventes auzir

(Sirventes. )
- après 1234 -
( Sirventès )

I

Qui volra sirventes auzir
Tescut d'enuech, d'antas mesclat.
A mi-l demant, qu'ieu l'ai filat
E-l sai ben volver et ordir;
E sai ben los malvais cauzir
E conosc ben lur malvestat;
E plazon me-l pros e-l prezat,
E-ls fals e-ls messongiers azir.

1

Qui voudra entendre un sirventès
tissé d'ennui et panaché de hontes,
qu'il me le demande, car j'en ai dévidé un
que j'ai su bien enrouler et ourdir.
Les méchants, je sais parfaitement les discerner
et je connais bien leur méchanceté.
Les preux, ceux qui sont dignes d'éloges
ceux-là me plaisent, mais les fourbes et les menteurs je les hais.

II

Ves clergues deslials me vir,
Car an tot l'ergueil ajostat
E l'engan e la cobeitat,
E homs mas il no sap traïr.
E fan ves totas partz auzir
Que raubador sían vedat,
E can qu'il an tout ni emblat
Cap drech van ves l'autar servir.

2

Contre les clercs déloyaux, je tourne ma colère ,
car ils ont rassemblé tout l'orgueil,
avec la ruse et la cupidité.
Nul ne sait trahir comme eux.
Ils profèrent à tous vents
qu'il faut jeter l'interdit sur les voleurs,
alors qu'eux, si grands que soient leurs vols et leurs rapines,
tête droite, ils vont vers l'autel servir .

III

E auran lo mon, can que tir,
Que res non lur n'es amparat;
Qu'il non temon Dieu ni peccat
Ni nul lach estar, far ni dir,
Sol las terras puescan sazir,
Qui-s vuelha n'aira l'uelh mulhat,
Qu'il non an de ren piatat
Mas de lur ventre azumplir.

3

Et ils possèderont le monde, quel que soit le retard,
car, contre eux, rien n'y est protégé ;
et ils ne craignent ni Dieu, ni péché,
ni aucune vilaine posture, ni action, ni parole,
pourvu qu'ils puissent s'emparer des terres.
Qui voudra en ait l'œil mouillé,
car eux, ils n'usent d'aucun ménagement
sauf envers eux-mêmes pour bien remplir leur ventre.

IV

E fan soven perdon venir
Per los avers que-i son sobrat,
Etz aco es lur ben gardat
Que Dieus ni-homs no'n pot gauzir.
E si'n grat pren Dieus cel servir,
Ben tenc so fort per escampat
Qu'a vestir als paures es dat
Ni a manjar ni a garnir.

4

Et ils font souvent revenir le Pardon,
à cause de l'abondance de biens que cela procure,
et tout cela est détourné à leur profit
si bien que Dieu ni homme n'en peut jouir.
Et si Dieu approuve cette façon de le servir,
alors moi j'estime résolument
que ce qui est donné aux pauvres pour les vêtir,
les nourrir et les pourvoir est complètement dilapidé.

V

E d'aisso vos pot hom partir:
C'aissi com plus aut son prelat
An menz de fe e de feutat
E mais d'engan e de mentir;
E menz en pot hom de ben dir,
Car mais i a de falsetat
E menz de ben e de vertat
E mais d...................... .

5

Et de ceci on peut vous donner à choisir :
car plus haut placés sont les prélats,
et moins ils ont de foi et de fidélité
et plus ils ont de perfidie et de mensonge;
et moins on en peut dire du bien,
car plus il y a en eux de fausseté
et moins ils ont de vertu et de vérité
et plus ils ont de............

VI

E menz i pot hom prezumir
De ben ni de nuilla bontat,
Car mais de mal i-es sagellat
E notar ni quartas escrir,
(E) ....................................
E menz prezan Dieu per orat,
E menz i trob'om d'amistat
E mais fan de mals us eissir.

6

Et moins on peut présumer en eux
de bien ou de quelque bonté,
car plus de mal en eux est scellé
en notant ou en écrivant des papiers;
et...,
et moins ils prient Dieu volontiers ,
et moins on trouve en eux d'amitié
et plus ils laissent paraître leurs mauvaises habitudes.

VII

Cavaliers degr'om sebelir
Com jamais d'els non fos parlat,
Car son aunit e deisonrat;
Lur vida val menz de morir
C'a clergues se laisan pestrir,
E per els son dezeretat
E, segon lur dret de barat,
Jujat son de tot a perir.

7

On devrait ensevelir tous les chevaliers
de manière à ne plus jamais entendre parler d'eux
car ils sont honnis et déshonorés;
leur vie vaut moins que mourir
puisqu'ils se laissent pétrir par les clercs
et que par eux ils sont déshérités
et que, selon leur droit de perfidie,
ils sont pleinement condamnés à périr.

VIII

Ab bauzías volon sazir
Clergue raubant, cant es vacat;
Seinhor del mont son sotzplantat
Sotz els, sel que degran regir;
Carles Martels los sap tenir,
Mas aquest rei conoisson fat
Qu'il fan far de tut a lur grat
E so qu'il degr'onrar, aunir.

8

Avec leurs tromperies ils veulent saisir,
les clercs rapaces, tout ce qui est vacant.
Les seigneurs du monde sont évincés
et mis sous leur coupe, eux qui devraient gouverner.
Charles Martel sut les tenir, mais, le roi d'aujourd'hui,
ils le considèrent comme un sot
car ils le font agir entièrement à leur gré
et ce qu'il devrait honorer, honnir.

IX

De clergues non auzi mal dir:
Car mi poirí 'esser comprat;
Mas il n'an tan trop aquabat
Que-l monz en deuría sonsir.

9

Des clercs je n'ose dire du mal
car cela je pourrais le payer cher;
mais ils en ont, tellement trop accompli
que le monde devrait en être englouti.


NOTES: Ce roi que les clercs considèrent comme un sot car ils le font agir à leur gré doit être Louis IX alias Saint-Louis. Sur ce roi, P.C. partage l'opinion courante des gens de l'époque qui se moquent ou s'indignent de son extrême piété.
Dans ce sirventès P.C. fait preuve d'un franc-parler évident et peut-être dangereux (voir strophe 9, mais évidemment ici P.C. feint d'avoir peur!...).
 
[ Section 1 - Poésie amoureuse ] = [ Section 2 - Poésie politique ] = [ Section 3 - Poésie religieuse ] = [ Section 4 - Poésie morale ]
[ SOMMAIRE ] = [ Chronologie ]