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La Courtoisie insurgée
Essai sur Pèire Cardenal


(2) Une enfance vellave (1180-1200)

.Pèire Cardenal est né au Puy-en-Velay en 1180. Son biographe indique : "E fo d'onradas gens de paratge, e fo filz de cavalier e de domna." (Et il naquit de gens nobles et honorés, il était fils de chevalier et de dame.)

Cette origine noble et certainement aisée explique en partie le choix parental: "E cant era petitz, sos paires lo mes per quanorgue en la quanorguia major del Puei, et apres letras e saup ben lezer e chantar." (Et alors qu'il était enfant, son père le mit, pour devenir chanoine, en la chanoinie majeure du Puy et il apprit les lettres (s'instruisit) et il sut bien lire et chanter.)

Le Puy (alors Lo Puei Nostra Domna, le Puy-Notre-Dame) était une des capitales intellectuelles et religieuses du temps. On peut même dire que, jalon incontournable situé sur un des grands chemins de pèlerinage de St-Jacques de Compostelle, c'était une des cités majeures de la Chrétienté. Le culte à Notre-Dame du Mont-Anis ("Anicium" est le nom latin de la ville) a attiré en foule les pèlerins vers la basilique bâtie au VIème siècle, puis vers la cathédrale dans laquelle était vénérée une étrange Vierge noire. Il est déja question de ce pèlerinage dans "Le Charroi de Nîmes" (chanson de geste française du XIIème s.). On attribue même à un évêque du Puy, Adhémar de Monteil, la composition du fameux chant Salve Regina, à la fin du XIème siècle (1098) . Cet environnement marial a dû profondément marquer le jeune étudiant et sera certainement à l'origine d'un de ses plus beaux chants religieux "Vera vergena, Maria".

Dans cette ville du Puy, le brassage des gens et des idées se traduit par un foisonnement intellectuel qui aboutira à la création de confréries qui, directement peut-être mais plus sûrement indirectement, auront une influence certaine sur l'éthique future de Cardenal. Les membres des "Confréries de la Paix " (1182-119?) fondées au Puy, se répandent en cette fin de siècle par les provinces d'Occitanie dans le but de détruire le brigandage et pour réformer l'ordre social en faveur des classes populaires. Leur action va rapidement inquiéter l'Eglise et les nobles. À leur tour traqués comme des brigands ils vont disparaître. Il est probable cependant que leur message a dû continuer à être vivant suffisamment longtemps pour que le futur moraliste s'en imprègne de façon durable car on retrouvera souvent dans son œuvre un type de discours qui semble bien être, en partie, inspiré par cette confrérie.

Le jeune Pèire va étudier "en la chanoinie majeure" (majeure, c'est à dire principale, rattachée à la cathédrale par opposition aux autres chapitres des autres collégiales de la ville) . Les élèves de l'école, âgés de 11 ans au moins et de 21 ans au plus, appartiennent à ce que l'on nomme l'Université Saint-Mayol, ainsi nommée en l'honneur de St-Mayol (ou Mayeul) 4ème abbé de Cluny. L'existence de cette Université est attestée depuis le XIème siècle.

L'essentiel de l'enseignement consistait à apprendre à lire et chanter : grammaire latine, latin liturgique, "lire les prières, le bréviaire, le psautier", le plain-chant, les éléments des lettres et des sciences, la théologie, peut-être droit civil et droit canon (Cardenal emploiera à bon escient, dans plusieurs de ses pièces, certains termes spécifiques de Droit). Même si l'enseignement lui-même y est évidemment principalement en latin, cette solide formation fera que Cardenal s'exprimera par la suite dans une langue pure tant lexicalement que grammaticalement .

La Cour du Puy-Sainte-Marie est alors brillante et animée. Tournois chevaleresques et poétiques y étaient fréquents. Le troubadour connu sous le nom de Moine de Montaudon y fut fait "seigneur et maître de donner l'épervier" distinction suprême de cette Cour raffinée qui devait se réunir dans le cloître même de la cathédrale qui par ses dimensions pouvait accueillir une nombreuse assistance. La chanoinie entière devait assister à ces fêtes, réunions profanes, mais dont la (relative) liberté des mœurs de cette époque permettait la tenue.

Le jeune étudiant a certainement été curieux de lire les pièces du déjà célèbre Moine-troubadour et la vivacité d'esprit de ces joutes oratoires n'a pu que fortifier sa propre vocation poétique. A cette influence de la Cour du Puy il faut ajouter celle des troubadours vellaves de la génération précédente, peut-être instruits eux aussi à l'Université St-Mayol (Guilhem de Sant-Leidier , Pons de Capduèlh..)

Vers l'âge de vingt ans, il décide alors de renoncer à la carrière ecclésiastique que son père voulait lui faire embrasser. Il n'a encore reçu aucun ordre (il n'est nullement chanoine comme certains l'avaient envisagé) et la voie qui s'ouvre à lui est celle du poète. Nous sommes encore dans la gloire du "siècle d'or" occitan et le prestige des troubadours classiques est alors immense. Cardenal pouvait et devait se nourrir des chants, entre bien d'autres, de Bernart de Ventadour, de Ramon Jordan, de Bertran de Born, d'Arnaud Daniel (célébré par Dante en sa Divine Comédie), de Pèire d'Alvernha, de Gui d'Ussel, d'Arnaut de Mareulh ou de Pèire Vidal.

Et il devait rêver de les égaler, sans savoir qu'un jour il les dépasserait...
 


   
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Présentation
Une enfance vellave
(1180-1200)
Entrée poétique
(1200-1204)
Une cour de mille amis amie
(1204-1222)
Dans la tourmente
(1222-1249)
L'errance
(1249-1260)
Le patriarche de Montpellier
(1260-1278)